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En quoi l’autonomie de la Bretagne est-elle si nécessaire ? (1/5)

Yves Lebahy, géographe. 
Yves Lebahy, géographe. 

Un Monde bousculé et instable : 


Le premier d’entre eux concerne l’état actuel du Monde car, mondialisation oblige, où que nous nous situions sur la planète, nous n’échappons pas à cet ordre qui y règne, aux différents troubles qui l’affectent. Elles ont des conséquences sur notre petit territoire de vie qu’est la Bretagne. Le Monde connait aujourd’hui de grands phénomènes de déstabilisation si tant est qu’il ait été un jour stable. Mais la mondialisation, la circulation très rapide des hommes et informations, l’interdépendance des  sociétés et territoires qui en résulte font que ce qui se passe en un lieu affecte tous les autres lieux de la planète dans un délai devenu extrêmement court. Or ces derniers temps, le Monde est l’objet de 4 crises majeures de son histoire, concomitantes et plus ou moins liées sans doute. 


La croissance de la population mondiale est la première.  Oubliée ces dernières décennies, elle paraissait dans les années 1970 comme la menace majeure à l’équilibre de la planète ce que soulignait le rapport Meadows publié en 1972 par le Club de Rome. Il mettait en évidence la nécessité de mettre fin à la croissance économique pour préserver le système mondial d’un effondrement envisageable et de stabiliser à la fois l’activité économique et la croissance démographique. Depuis cette date, on vit sans trop y penser et sans tenir compte de ces préconisations anciennes avec cette mutation profonde de l’histoire de l’Humanité, toujours en cours de développement. Quand en 1968 on s’effrayait d’atteindre les 3 milliards d’hommes sur la planète, en 2023 nous sommes rendus à plus de 8,7 milliards et devrions atteindre dans les deux ou trois décennies à venir les 9,5 milliards. Extraordinaire mutation qui conduit en 2 à 3 générations à tripler la population mondiale : jamais dans l’histoire de l’Humanité un bouleversement d’une telle ampleur et rapidité ne s’est produit. Il faut le rappeler tant aujourd’hui ce fait semble normal, banal, faisant partie de notre environnement à tel point qu’on n’y pense plus ; et pourtant si intense et préoccupant ! De plus, il produit des courants migratoires intenses (281 millions de migrants en 2022 dont 117 millions de déplacés selon l’Observatoire des migrations de l’ONU), des concurrences violentes d’accès aux ressources même les plus élémentaires (eau, terre), des confrontations d’idées philosophiques et religieuses, des oppositions de modèles de vie entre les hommes, tout cela générant de nombreux conflits de représentations, d’espace et de territoires comme jamais dans l’histoire de la Terre. Nous vivons au cœur de cette mutation en n’en voyant au mieux que les effets visibles : « les migrants et déplacés ». L’instabilité actuelle du Monde en constitue pourtant la première composante. Nul territoire n’échappe à ses effets, qu’ils soient directs (arrivées de populations d’autres continents) ou indirects (jeu de chaise musicale entre populations). La Bretagne n’y échappe pas même si la part de immigrés dans sa population est la plus faible de France : 4,1% en 2021 alors que le taux national est de10 % et que certaines régions comme l’Ile de France en hébergent plus de 20% (rapport INSEE 2024). Mais la Bretagne, devenue terre d’intense immigration depuis les années 2000 (35 à 40 000 nouveaux arrivants par an), reçoit majoritairement des populations métropolitaines issues de ces zones en pression.  Indirectement, elle en est affectée elle aussi surtout depuis l’épisode du Covid ce qui n'est pas sans lui poser des problèmes (question du logement entre-autre).  


La crise climatique est aujourd’hui l’autre menace majeuredésormais en tête des préoccupations des populations. Perçue depuis plus de 40 ans par les scientifiques, ce n’est que depuis une quinzaine d’années seulement qu’elle est prise véritablement au sérieux par nos représentants politiques et nos concitoyens.  Bien trop tard ! De plus sa gestion rationnelle bousculerait  tellement nos sociétés et l’ordre économique du Monde (libéralisme économique, mondialisation ambiants) qu’on peut craindre une incapacité de nos sociétés à anticiper les évènements et à s’adapter aux risques prévisibles qui en résultent (désertification ou submersion de certains territoires, vents et pluies plus aléatoires et/ou violents) …à moins que le cynisme de certains individus ou Etats ne joue la carte de l’exacerbation de la crise pour mieux assoir leur domination sur certains espaces ou peuples et accaparer des ressources nouvelles (Groenland par exemple). Or s’adapter suppose donc de remettre en cause tous les paradigmes qui fondent nos sociétés « développées » car seul le retour à la relation intime de l’homme avec son milieu, l’usage parcimonieux et respectueux de celui-ci, des formes de développement plus endogènes peuvent permettre d’affronter réellement cette crise majeure de la planète provoquée par la Révolution industrielle et le développement de la société de consommation. « Seule la diversité cultivée peut nourrir le monde », seul le retour à une autosuffisance locale la plus grande peuvent réduire ces échanges si générateurs de pollutions, de coûts inutiles et de rapports de domination entre peuples. Comme le démontre le géographe américain Jared Diamond, analysant les causes de disparition des grandes sociétés du passé, même les plus élaborées, l’incapacité à remettre en cause un ordre établi et une organisation a signé leur arrêt de mort.  Méditons cette analyse historique. Assurer notre survie dans le monde de demain suppose de refonder absolument nos relations aux milieux et aux hommes, de repenser notre organisation politique, de remettre en cause l’ordre que nous avons imposé à la planète : une véritable révolution ! Sommes-nous prêts à la faire ? La réponse ne peut venir que de nos territoires, de nos sociétés profondément ancrées dans leurs milieux. En cela la société bretonne, riche d’une histoire de plus de 1500 ans, du génie d’adaptation qu’elle a su développer au fil du temps sur cette péninsule ingrate dans ses relations complexes à la terre et à la mer, a les moyens de relever un tel défi pour peu qu’on lui en laisse l’initiative.   


Des tensions et conflits multiples.  Nous vivons aujourd’hui dans un contexte d’instabilité profonde du Monde. En de nombreux lieux, au sein de sous-ensembles continentaux, se déroulent des guerres, multiples et terribles. Guerres d’affrontements idéologiques ou religieux, guerres de dominations d’espaces territoriaux à dimensions géostratégiques locales, guerres d’accès aux ressources (d’accès à l’eau ou alimentaires, énergétiques ou minières), guerres résultant des pressions démographiques. Jamais le Monde n’a été aussi instable, en luttes armées perpétuelles et la diffusion de leur existence est amplifiée par la circulation des médias.  Tout conflit est désormais connu du monde entier, créant un climat d’inquiétude au sein des populations. Nul territoire n’y échappe, si ce n’est directement tout au moins indirectement à travers les flux de réfugiés qui fuient des zones de combats ou de tensions. Dans cet ordre des choses, de grands sous-ensembles aux enjeux géostratégiques sont concernés : Le Moyen Orient tout entier est en proie à une déstabilisation problématique dont nul ne voit l’issue tant la situation est un imbroglio stratifié par l’histoire; les périphéries de l’ancien bloc soviétique sont confrontées à une grande instabilité (Europe médiane, Caucase, républiques d’Asie Centrale) provoquée par une Russie nostalgique de son grand empire ; il en est de même sur les pourtours de la Chine aux visées expansionnistes et hégémoniques particulièrement inquiétantes et clairement affichées désormais. Même si la Bretagne, espace de paix depuis des décennies, peut sembler bien loin de tous ces conflits,  c’est oublier la position stratégique de sa péninsule, évidente sur la Façade atlantique de l’Europe. En cas d’instabilité générale et d’embrasement impliquant l’Europe, elle serait immédiatement exposée en raison de cette position géographique et de ses ports militaires, Brest en particulier, centre de la force navale nucléaire de la France. Cette crainte n’est pas à évacuer tant nous entrons dans une ère de déstabilisation des équilibres mondiaux.  Et c’est là l’objet de la quatrième crise. 


Une redistribution des pôles d’influence de la planète. La remise en cause par certains pays de l’hégémonie occidentale dominée par les Etats Unis, concernant le territoire Nord-américain et l’Europe, fait désormais peser une épée de Damoclès sur nos sociétés occidentales. On le constate à travers l’actuel conflit ukrainien. La domination économique américaine sur le Monde résultant de la seconde guerre mondiale (accords de Bretton Wood de 1944 assurant la stabilité du système monétaire international en assurant la parité des monnaies fondées sur la convertibilité or/dollar et s’appuyant sur le Fond Monétaire International né en 1945 et regroupant 192 pays), est désormais contestée. En 1971, Nixon en supprimant cette convertibilité au bénéfice d’un flottement général des monnaies contrôlé par le G7, un groupement des 7 pays les plus industrialisés de la planète, a ouvert la contestation de ce modèle qui régulait la planète.  Depuis sa naissance en 2004, le rassemblement des BRICS plaide pour une refondation des organisations internationales (ONU y compris) afin de tenir compte de l’émergence de nouvelles puissances. Union du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de l’Afrique du Sud et de la Chine au départ, ce groupe rallie aujourd’hui, les Emirats Arabes, l’Egypte, l’Ethiopie, l’Iran et attire de nouveaux candidats (22 en 2024) principalement issus d’Amérique latine, de l’espace indonésien ou d’Afrique. A cette date la totalité de ces pays représente la moitié de la population mondiale, 35% du PIB (contre 44% pour les membres du G7) et s’appuie sur le yuan, la monnaie chinoise, pour les échanges internationaux. Ce groupe cache en réalité les ambitions de domination de la Chine et de l’Inde mais aussi et surtout - en ce qui nous concerne - conteste les valeurs sociétales de l’Occident (libéralisme, démocratie). Derrière les enjeux économiques se cachent des intérêts géostratégiques évidents, pour ne pas dire des ressentiments profonds et un désir de vengeance de l’hégémonie occidentale subie au cours des décennies voire des siècles passés. Nous sommes désormais entrés dans un monde multipolaire où les affrontements de pouvoirs et de domination du Monde, ainsi que de valeurs, sont devenus réels pour ne pas dire inquiétants pour nous Occidentaux.  Au-delà des enjeux géopolitiques de la Russie pensant recouvrer sa splendeur passée, l’actuelle guerre Russie/Ukraine cache cette réalité idéologique dans un conflit qui menace l’Europe toute entière, symbole ancien et devenu fragile de ce monde occidental qui au XIXème siècle a colonisé une grande partie du Monde.  Et la volonté américaine de repli sur son propre territoire ou d’extension de ce dernier au mépris du droit international que porte le nouveau président Trump, n’est pas sans inquiéter. On le mesure à travers ses discours au sujet de l’OTAN, pacte de défense regroupant 49 pays occidentaux sous le parapluie américain, aujourd’hui devenu bien frileux devant la pression russe actuelle sur ses voisins immédiats.  Ce qui pose la question de l’unité européenne, de son autonomie et de sa force géopolitique véritables.  Inutile de préciser que si la Bretagne ne compte pour rien dans cet affrontement,  elle peut en subir les effets.


Yves LEBAHY, Géographe

 
 
 

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