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En quoi l’autonomie de la Bretagne est-elle si nécessaire ? (2/5)


Yves LEBAHY, Géographe
Yves LEBAHY, Géographe

Une Union européenne dépassée et impotente.


Le second contexte dans lequel la Bretagne évolue est celui de l’Union européenne, espace économique et politique qui aujourd’hui nous gouverne. Or, cette Union finalement assez récente reste un nain politique en dépit de sa force économique. Cela se révèle notamment avec le confit ukrainien.  En cela l’Union européenne révèle ses failles et faiblesses, nous embarquant dans sa logique. Sur presque tous les plans et sur le fond même, cette organisation pourtant si nécessaire pour assurer l’unité européenne face à ces nouveaux concurrents, pose problème ; sur le plan économique d’abord qui est son essence, mais aussi dans les domaines politique, environnemental, démocratique, diplomatique et militaire. Et si dans les années 1990/2000, elle pouvait encore susciter quelques espoirs à ses citoyens en matière d’aménagement et d’organisation (aménagement, Euro-régions), depuis la crise déclenchée en 2006 (subprimes) et qui éclate en Europe en 2008, toutes ces options positives se sont effondrées ou évanouies. Pourquoi ces doutes ?


Une Europe avant tout économique et devenue ultralibérale. La dimension économique de cette union est sa raison d’être, depuis son origine. Car si l’idée du regroupement des pays européens nait après la guerre sous l’impulsion américaine, il faut rappeler qu’elle avait en fait plusieurs objectifs, certains avoués aux populations, d’autres plus sous-jacents. Après la guerre, les Etats Unis suscitaient l’éclosion d’un marché unique européen pour redresser rapidement les états de l’Europe de l’ouest sur le plan économique et en réciprocité assurer des débouchés à sa propre industrie. Mais son arrière-pensée, partagée par de nombreux dirigeants européens, était de contrer ainsi les risques d’expansion du communisme. Nous étions alors en pleine guerre froide.  Déjà l’axiome purement théorique « économie libérale = démocratie » se mettait en place.  Aussi, après l’échec en 1954 de la création d’une Communauté Européenne de Défense (CED), l’organisation du marché apparait alors aux dirigeants européens le moyen le plus simple de constituer un bloc pouvant s’opposer au communisme. Comme le disait Michel Rocard, faute d’accord sur des questions fondamentales dans la vie des Etats, le marché a été pris comme dénominateur commun le plus simple pour assurer la construction de l’Union.  Génétiquement donc, le Marché Commun de 1957 auquel a succédé l’Union Economique et Monétaire de l’Europe (l’UE) de 1972 porte cette tare originelle, n’ayant pas eu au départ le moindre projet social, politique, diplomatique et militaire, d’où la faiblesse actuelle de cette dernière entité politique qu’est son Parlement. L’UE reste, quoiqu’on en pense, le clone d’un modèle extérieur avant tout soumise au règne strict de l’économie libérale.

Mais, plus grave, les successifs traités de Maastricht (1992), Nice (2001), Lisbonne (2007) l’ont entrainée dans la soumission à une vision de plus en plus ultra-libérale de l’économie copiée sur le modèle anglo-saxon (politiques de Tatcher et Reagan). Compétitivité et libre concurrence en tous domaines gèrent désormais notre destinée. Les services publics et monopoles d’Etat sont considérés comme des freins au marché et sont partout l’objet de démantèlement. L’aménagement des territoires a cédé la place aux dogmes d’un marché dominant : compétitivité entre territoires, polarisation, prétendue théorie d’un ruissellement censé apporter la richesse aux périphéries. Géré par une multiplicité de directives et de normes, le marché enferme les activités et les hommes dans un jeu de contraintes de plus en plus insoutenables et anti-démocratiques, voire terroristes.  Ses réglementations s’imposent à d’autres réglementations sous des prétextes divers, aujourd’hui principalement écologiques et perçues par les populations comme punitives, imposant une paperasserie insupportable (monde de l’entreprise), privant peu à peu l’individu de ce qui fait l’essence même du libéralisme : la liberté individuelle et d’entreprendre.  Ce marché devenu totalitaire, au seul profit des plus puissants, a mis en place une véritable ploutocratie. Nous vivons une dérive progressive de nos démocraties où la contestation de l’ordre imposé n’est plus tolérée et devient systématiquement réprimée (voir mouvement des Gilets jaunes, des retraites, manifestations paysannes, etc…). L’illibéralisme actuel émanant des Etats Unis et gagnant désormais l’Europe, fait maintenant craindre le pire, tant il méprise les règles de la Démocratie, Il préfère désormais les pouvoirs forts, pour ne pas dire d’extrême droite, afin de mieux dominer économiquement la planète. La loi du plus fort se met en place insidieusement, se moquant de toutes les instances et traités internationaux. Le pire est à venir si nous n’y prenons garde, nous en Europe, berceau de la Démocratie. Le projet libertarien en provenance des Etats Unis constitue désormais une menace pour l’Europe et ses démocraties.

D’où le rejet de certains peuples lors des votes sur ces traités, le faible taux de participation aux diverses élections européennes, la défiance à l’égard de cette institution qui régule le marché, la montée des extrêmes, de droite principalement. Nombre d’Etats de l’UE sont désormais confrontés à cette menace, nationaliste, populiste et de rejet. Le Brexit en a été une première expression. L’UE est désormais un marché où la concurrence entre peuples et territoires est devenue la règle, conduisant progressivement certains d’entre-eux à rejeter l’axiome de départ, marché libéral=démocratie. Ce modèle ne fait plus rêver les populations, hormis les privilégiés du système, révélant une nouvelle évidence, déjà rencontrée dans les années 1930 : le marché capitaliste outrancier fait le lit de l’extrême droite : Hongrie, Slovaquie, Italie, Pays Bas, Autriche, RDA, France, Roumanie voient cette tendance politique s’affirmer dans le débat politique et parfois prendre le pouvoir. Pire, l’UE ferme les yeux sur ces dérives ou ces régimes dès lors qu’ils défendent ses intérêts économiques (ressources minières)  ou migratoires (Cf Europe médiane). La montée progressive des votes en faveur de l’extrême droite en France l’exprime.  Cette fronde touche désormais la Bretagne, expression contraire à nos valeurs sociétales, traduction d’un dépit profond à l’égard des politiques économiques subies et résultat d’une absence de réponses aux mouvements divers qui ont agité la région ces dernières années (Bonnets Rouges, Gilets jaunes). Elle menace ainsi la cohésion sociale et territoriale de la Bretagne.

Ce système n’est en rien efficace en termes économiques et sa contrepartie extrêmement lourde en matière de conséquences sociales. Et ce n’est pas un hasard si l’actuel gouvernement travailliste du Royaume Uni, sous la direction de Keir Starmer, commence à remettre en cause ces choix, opérés il y a plus de 40 ans en Grande Bretagne, tant leur efficacité pose problème : renationalisation progressive des chemins de fer britanniques, reconstitution du NHS ( l’hôpital public démantelé alors qu’il fut dans le passé un modèle d’efficacité en matière de santé publique). Comme quoi les vertus d’un libéralisme dérégulé n’ayant que la seule logique du marché, avoue ses limites ! Et c’est pourquoi pour certains dirigeants américains, ce gouvernement est aujourd’hui à abattre, car il ose remettre en cause l’ordre en cours.

 Faute d’avoir conçu un réel projet politique et social, l’Europe se meurt, se déconnecte des peuples qui ne participent que parcimonieusement à ses consultations électorales. Nain politique, elle s’abandonne naïvement aux appétits des multinationales et des puissances mondiales concurrentes, américaine et maintenant chinoise.


Une Union où la démocratique se dilue.  Ainsi qu’on l’a vu précédemment, dans l’Union européenne, la Démocratie et le marché se confondent en une option idéologique problématique. Mais de quelle démocratie parlons-nous ?  N’est-elle pas qu’un simple habillage, où toute contestation de l’ordre en place est désormais réprimée et où toute opinion divergente est qualifiée d’extrémisme par la quasi-totalité des médias, devenus à la botte.

La complexité des organes de gestion de l’UE ne tue-t-elle pas la Démocratie ?  Elle rend en effet cette organisation « démocratique » aussi distante géographiquement que politiquement du citoyen. Ses centres de décision sont à Bruxelles, Strasbourg ou dans les places boursières où règne la finance internationale, c’est-à-dire souvent bien loin de son territoire de vie. Le jeu politique qui s’y déroule paraît pour sa part opaque à une majorité de citoyens. Le Parlement qui est censé le représenter, semble un appareil décisionnel lourd sur lequel, lui Citoyen, n’a pas prise. Car cette élection directe en un tour par scrutin de listes des 81 députés français sur les 720 que compte le Parlement, s’opère à l’échelle nationale, celle des Etats. Appartenant aux partis politiques institués, ces députés sont le plus souvent inconnus et distants de la plupart de leurs électeurs et n’ont, en réciprocité, aucune responsabilité à leur égard. Où est là la représentation démocratique, distante, sans autre engagement que celui d’un vague courant de pensée et d’un programme fourre-tout ?  Cette distanciation entre citoyens et représentants menace la Démocratie, ouvrant la porte à toute dérive politique.

Une vie politique rivée au centre en est l’autre conséquence. Compte tenu de l’importance du nombre des députés qui y siègent (les 720, ce qui est énorme), cette représentation a aussi comme autre conséquence de tirer la vie du Parlement vers une politique située au centre droit, sociale-démocrate ou conservatrice, qui ne permet en rien l’émergence en son sein de courants de pensée progressistes, les seules aptes à dynamiser la vie politique européenne. Le Parlement est devenu par nature un ventre mou d’où ne peuvent émerger que des consensus faibles, inaptes à répondre aux agressions de concurrents mondiaux ou de pays internes à l’Union aux pouvoirs politiques forts comme la Hongrie. Et c’est cette stabilité qu’elle nous promeut via des médias totalement contrôlés et diffusant une pensée unique !  Quant aux autres organes du l’Union, le Conseil européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne, ils résultent de la stratification progressive des Etats opérée au fil des accroissements de l’Europe, en un système de représentation à plusieurs degrés. Et surtout, reposant sur l’avis unanime des Etats certains de ces Conseils n’accordent pas une même importance aux populations. Des Etats de moins de 5 millions d’habitants peuvent y faire entendre leur voix alors qu’une région comme la Bretagne ne le peut, étant partie intégrante de l’Etat français.  Mais plus grave, comment le citoyen peut-il agir sur ces structures où l’inertie est la règle ? Si par hasard, son vote ne va pas dans le sens souhaité par les instances délibératives, il est bafoué, contourné comme ce fut le cas lors du référendum français de février 2005 sur le traité constitutionnel européen, comme cela l’a été aussi dans le cas du gouvernement Syrisa en Grèce entre 2015 et 2019 lequel contestait la ligne économique de l’UE ou plus récemment en Roumanie lors du scrutin présidentiel.  « Ignorer le verdict des urnes en imposant un traité refusé par référendum, user de stratagèmes institutionnels pour s’accrocher au pouvoir malgré une défaite, inventer des accusations de fraude pour entacher la légitimité d’un candidat »[1], tous les moyens sont bons pour conserver l’ordre économique et politique de l’Union au mépris des choix citoyens. Cette institution constitue une véritable tour d’ivoire à laquelle le citoyen lambda n’a nul accès. S’appuyant sur les Etats et leurs ministres (merci De Gaulle, qui s’oppose en 1972 à une organisation fédérale de l’Union au profit du maintien des Etats), représentant de majorités définies lointainement par un vote citoyen, l’appareil décisionnel de l’UE apparait comme une caste fermée qui décide, légifère, représente les intérêts (mais lesquels ?) de l’Union, principalement ceux des grands groupes financiers, et qui, pour fonctionner, s’appuie sur une technostructure dont le pouvoir lui échappe et autour de laquelle gravite tout un travail de lobbying profondément problématique.


L’Union européenne, un nain politique sans cap.  De fait, l’Union actuelle n’a de Démocratique que l’esprit mais en rien le fonctionnement, ni la responsabilité. Son système verrouillé s’avère inefficace à traiter des enjeux sociaux évidents (émigration, inégalités de développement spatiale en son sein) que génère sa stricte vision économique. Cette orientation essentiellement économiste devenue ultralibérale, conçue dans un marché dérégulé, constitue une menace pour son unité et met en péril son avenir en tant que pôle économique majeur de la planète. Par ailleurs, elle impose une politique écologiste drastique et parfois punitive aux populations (chasse aux émissions de carbone, voiture électrique, pari énergétique sur l’éolien…ou le nucléaire) mais négocie en même temps un accord avec le Mercosur tout cela dans des contradictions évidentes.

Ambiguë stratégiquement, elle n’est guère plus apte à gérer les enjeux extérieurs relatifs à la compétition internationale à laquelle se livrent les grands blocs, actuellement concurrents de cette vision occidentale (cas de la Chine). Ses rivaux économiques ne s’embarrassent pas de principes et sont autrement réactifs.  Ainsi, elle abandonne des pans entiers de sa technologie, donc de ses emplois industriels, pour les ménager. Dans la guerre qui désormais oppose les USA à la Chine et aux puissances émergentes, l’Europe, dépendante de la domination américaine, s’avère incapable de définir une stratégie propre. Trop complexe à gérer, elle oscille dans des contradictions qui la réduisent à suivre le mouvement.  De fait, elle est devenue un nain qui croit encore naïvement aux vertus de la mondialisation laquelle n’est qu’un théâtre d’affrontements et de poker menteur. C’est pire encore en matière diplomatique et militaire où elle apparait totalement inefficace et pusillanime, incapable de protéger le citoyen et de se protéger elle-même (voir le conflit ukrainien qui se double d’un conflit contre l’Europe elle-même et son modèle de vie occidental).  Géant économique encore à l’échelle mondiale, elle ne pèse plus sur le plan géopolitique. La Chine, concurrente désormais, la surpasse tant en matière économique que diplomatique avec un projet affirmé de domination du Monde. Dans cette configuration, l’Union européenne n’a nul avenir. Ses peuples constitutifs, soumis à sa logique, non plus.


Une nécessaire Europe fédérale fondée sur les régions. L’Europe ainsi conçue ne peut survivre en tant que pôle majeur de la compétition internationale. Sa stratégie d’intégration économique et géostratégique combinées conduit à l’instabilité originelle d’une Union devenue au fil du temps profondément disparate et sortant de la sphère géographique du continent européen (Géorgie ?). Disparate par les logiques d’intérêt qui animent ses membres (accès au marché pour les plus récents ou préservation face aux dérives de ce marché pour les plus anciens), par leur espace territorial inégal ou leur poids démographique hétérogène, leur inégal niveau de développement que nulle politique structurelle ne vient désormais compenser, l’Europe actuelle est devenue un patchwork disparate où seules les grosses puissances étatiques émergent et imposent leurs choix. Mais ces leaders (Allemagne, France) s’avèrent désormais bien malades et incapables en ce moment d’impulser les politiques nécessaires.  Ainsi elle s’enfonce, peu à peu condamnée à devenir un espace lambda de la planète entrainant ses populations dans une sorte de syphon régressif.

Seul moyen de résoudre ces problèmes, une remise en cause profonde des fondements de son Union s’avère indispensable. Ou bien, on poursuit le projet européen à la condition de le faire évoluer ou bien on se replie sur des visions nationales, ce qu’ont fait les Britanniques ! Or, pour nombre de concitoyens, l’Europe est pourtant bien une réalité qui a un sens culturel et des valeurs communes ; elle offre à ses populations une identité vécue intimement dans une logique d’espaces et d’appartenances emboités.  Pour perpétuer un destin commun et non subi, elle se doit d’abord d’être plus démocratique, c’est-à-dire plus proche des préoccupations du citoyen, donc politiquement en lien avec le territoire de vie de ce dernier et ses enjeux. Le rôle des Etats sur lequel elle s’appuie semble trop souvent devenu caduque, notamment en France où ce dernier vit sur des illusions idéologiques passées et se montre profondément en crise, ce que l’on va analyser ultérieurement. Dans l’organigramme constitutif de l’organisation européenne, nombre de ces Etats sont devenus des maillons inutiles, simples courroies de transmission devenues pesantes des décisions prises à Bruxelles. Quelle similitude organique y-a-t-il entre des pays comme la France et la Slovaquie ou bien la Moldavie qui frappe à la porte, par exemple ? Par ailleurs, règle fondamentale de la Démocratie, un système démocratique représentatif ne peut fonctionner qu’à 3 échelons de pouvoirs seulement, comme le disait fréquemment Loeiz Laurent, ancien directeur de l’INSEE Bretagne : le local, le régional, le troisième étant alors soit l’Etat, soit l’Europe. Car la multiplication des échelons de pouvoirs comme nous la vivons en France actuellement implique nécessairement une lourdeur du fonctionnement liée à des technostructures inutiles et des coûts parasites.

Seule une Union reposant sur une Fédération des régions européennes, supprimant donc les Etats et offrant aux régions une réelle autonomie, peut offrir à l’Europe un projet viable, respectueux de leur diversité et affirmant leurs identités. Dans une dimension plus démocratique que celle que nous vivons actuellement en France, elle serait moins soumise au marché et à ses logiques.  Confrontée à la complexité propre à toute société, elle aurait l’obligation de traiter avant toute chose la question des équilibres sociaux si essentiels à l’égalité, celle de l’harmonie des territoires en lieu et place de la polarisation des espaces, dominante actuellement. Jouant sur la pluralité et de l’émulation de ses habitants, elle alimenterait d’autre part un souffle économique novateur, des expérimentations de toute nature, issues de sa diversité. Reliant à nouveau le citoyen à son milieu, cela rendrait la question écologique à la fois plus systématique et acceptable. 

Utopie diront certains, Nécessité de survie de notre communauté plus probablement !


Yves LEBAHY, Géographe

 
 
 

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