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En quoi l’autonomie de la Bretagne est-elle si nécessaire ? (3/5)

Dernière mise à jour : 17 janv.


Yves LEBAHY, Géographe
Yves LEBAHY, Géographe

Quant au contexte national français ?


Révoltante et pathétique, tels peuvent être les qualificatifs attribués à la situation actuelle de la France. Hormis dans la vingtaine de ses pôles métropolitains (et encore ?), l’Ile de France en particulier, notre pays va mal, très mal même. Désindustrialisation, effondrement des productions agricoles sauf dans quelques secteurs soulignant la fin de notre souveraineté alimentaire, dette incommensurable, immigration présentée comme une menace, fractionnement de sa population, « archipélisation »[1] du territoire, atonie d’une vie politique à la dérive, esquissent le tableau actuel du Pays. La France, sorte de bateau ivre qui depuis plus de 20 ans dérive d’année en année, risque de couler inéluctablement un jour, à moins d’un soubresaut hypothétique. Quel projet anime désormais ce pays ? Sa vie politique n’est pas en reste. Les derniers gouvernements et présidences traduisent un vide politique effarant, sans souffle ni autre vision que celle portée par l’UE et les règles actuelles du marché qui bousculent et dépècent notre modèle social particulier auquel est encore profondément attaché la population : il est désormais en lambeaux (services publics particulièrement, retraites et couvertures sociales). Bousculée par les orientations ultralibérales de l’Union européenne, la société française se meurt en se fractionnant, s’englue dans une démultiplication des échelons de pouvoirs et des niveaux de compétences (7 niveaux de la commune à l’Etat !), amplifiant et hiérarchisant au passage toute une gamme de représentants élus et de technostructures inutiles.

Conséquences : Les solidarités qui liaient la population à l’Etat éclatent ; nos responsables politiques n’ont nul autre projet qu’un repli frileux sur des valeurs de plus en plus conservatrices. Oser exprimer un projet devient suspect ; « être de gauche » est assimilé à « être d’extrême gauche » (!) ; oser contester l’ordre ambiant, un crime durement réprimé (Gilets jaunes). Le pouvoir est accaparé par une caste politique sans envergure et une haute administration issue du moule unique des grandes écoles (Sciences Po, ENA) qui s’impose au nom de sa prétendue compétence en matière de gestion et navigue indifféremment entre services publics, entreprises et engagement politique, mélangeant au passage les intérêts.  De ce fait, il est maintenant au service de la finance, laquelle impose à notre vie politique ses orientations et ses hommes dans une opacité bien éloignée du sens démocratique.  Aussi, ce système se maintient-il sans avoir de réels projets autres que sa continuité et l’ordre établi, cela dans un jeu qui ignore parfois le sens de l’intérêt public. Le résultat des urnes n’est plus respecté ; les derniers gouvernements sont confiés, contre toute attente, aux perdants. Le jeu politique normal d’une démocratie est bafoué. L’avis du « peuple souverain » est piétiné tout comme les principes fondamentaux de Liberté, Egalité, Fraternité. Ce qui faisait Nation, c’est-à-dire l’adhésion d’une population à un projet commun de vie a disparu. Notre Démocratie est morte se transformant elle aussi, à l’image de l’UE, en une ploutocratie qui dirige et gouverne, méprisant le peuple tout en en ayant peur. 

C’est le résultat d’une vision centraliste et universaliste d’un autre temps. Très belle vision que celle-là quand nous ne vivions à la fin du XVIIIème siècle qu’entre Européens confrontés à des despotes. Mais deux siècles et demi après, cet universalisme fait sourire. Si ce n’est dans certains de ses principes, tout au moins dans leur généralisation à la Terre entière, rôle que nos gouvernants prétendent encore tenir. Comme s’il n’y avait sur Terre qu’une seule Nation phare. Quel égocentrisme que celui-là !  Que de crimes faits en son nom (colonialisme, uniformisation de la pensée, écrasement des révoltes) !  Après avoir dominé des peuples, (internes, puis externes au territoire métropolitain), les avoir exploités, ce pays est devenu exsangue : combien de régions françaises sont devenues vides d’hommes et d’activités (la diagonale du vide, les périphéries) ?  Que de savoirs et savoir-faire de ses populations longtemps différentes, de dynamisme démographique dont se privent aujourd’hui la Nation et l’Etat, ont disparu ?   Ces richesses avaient fait la force et la fortune de la France au XVIIIème et XIXème siècle !  Ne reste plus que la capitale, Paris, cette agglomération qui « pompe » toutes les richesses et le dynamisme du territoire national. Cette aspiration vers le centre ne lui suffit plus aujourd’hui à maintenir son rang de métropole internationale ; elle régresse et ce ne sont pas des opérations comme celle des Jeux olympiques qui suffisent à le maintenir[2]. La France pèche par excès de grandeur ne se rendant pas compte que le temps de son rayonnement européen et mondial est révolu. Il est du passé ; tenter de le perpétuer nous asphyxie.

Un pays à réformer profondément mais n’est-il pas trop tard ? La France fonctionne aujourd’hui sur un système politique à bout de souffle tant sur le plan institutionnel que dans son organisation sociétale.

L’Etat français est désormais régi par un système institutionnel à bout de souffle. Il centralise le pouvoir autour d’une majorité qui fait la démonstration actuelle de son inadaptation, conduisant à une situation de blocage politique et d’instabilité ministérielle.  Comme pour l’UE, les courants de pensée différents de la doxa conservatrice en place sont rejetés, indépendamment de la volonté souveraine du peuple. Ce que fait actuellement notre Président, en s’appuyant sur des médias contrôlés et « aux ordres », pour maintenir en place des gouvernements illégitimes et un semblant de démocratie ! Il s’agit de tout faire pour maintenir l’ordre économique et politique en place -comme s’il était performant- peu importe le déni démocratique que cela représente. Nous le vivons actuellement dans une crise profonde de régime sous prétexte d’une dette incontrôlée, faisant office de menace. Auparavant, l’alibi à cette rupture démocratique avait été la gestion drastique du Covid. Le système politique actuel parait verrouillé alors qu’il faudrait, au contraire, le réformer constitutionnellement, l’ouvrir aux initiatives issues du pays, des régions, faire confiance aux gens.  Le conservatisme, en effet, ne peut offrir une vision d’avenir, celle dont a besoin notre pays, à moins que sa destinée ne soit de s’effacer. 

 Un personnel politique problématique. Agents et produits à la fois de cette situation où les idéologies n’ont plus droit de cité, nos représentants politiques élus sont devenus trop souvent des professionnels de la fonction, sans options ni compétences réelles, se cooptant avant même d’être élus et cherchant avant tout à conserver leurs fonctions, assimilées pour un grand nombre d’entre-eux à « un travail ». Ils ne sont plus désormais les guides éclairés dont a besoin le peuple.  Leur indigence laisse alors place à cette haute administration sur laquelle ils s’appuient et qui en réalité mène le jeu. Rien d’étonnant à ce que la classe politique soit en partie déconnectée des réalités, des problèmes rencontrés par la population. Il faut que les crises soient profondes pour qu’ils se réveillent et éventuellement les accompagnent alors que leur rôle devrait être d’alarmer en premier. La déconnexion entre les lieux de décision et le cadre de vie des citoyens trouve là son origine. Nos élites, parisiennes pour un grand nombre, oublient et ignorent la France, encore plus quand elle est rurale. Nos politiques ont ainsi cassé le ressort qui faisait de nous une Nation, c’est-à-dire l’adhésion à un projet commun de vie. La Bretagne, la Bretagne centrale plus particulièrement, en souffre profondément et il ne faut pas s’étonner que la société bretonne cherche à affirmer le sien propre. Pour elle, c’est une question de survie.

L’Etat français s’appuie sur un système centraliste profondément inégalitaire. « Pompant », pour paraphraser le vieux slogan de l’UDB, la richesse du pays tout entier au bénéfice de sa capitale, il paupérise les « provinces ». Le clivage Paris /Provinces adopté sous l’Ancien Régime n’a fait que se renforcer depuis cette époque, vidant le territoire national de sa substance démographique et économique. Perpétuation d’un ordre ancien sur lequel notre Etat-Nation s’est constitué, il devient insoutenable d’autant que les lois instituant les métropoles ont dupliqué le système pour mieux en renforcer le poids du Grand Paris et de l’Ile de France.  Ces dernières ne sont en effet que des relais destinés à renforcer la suprématie de la capitale ; elles ont amplifié parallèlement le clivage problématique villes /campagnes[3]. Ainsi, s’il s’avère possible d’évaluer la contribution de la Région Bretagne au budget de la France (environ 70 Milliards d’€ quand le budget alloué à la Région s’élève à 2 milliards d’€)[4] , destinée à affirmer son rayonnement ; il est par contre impossible d’en connaitre le retour des financements sur le terrain (subventions aux collectivités, coûts du fonctionnement des services publics et des aménagements dont profite la région).  Incurie ou volonté de cacher ?   Sans doute un peu des deux, mais la question reste problématique.  Car tout citoyen est en droit de connaitre l’usage qui est fait de sa contribution au fonctionnement de la Nation. Ne parlons pas des investissements en termes éducatifs, culturels, sportifs, en équipements … essentiellement captés par la capitale.  Ce système profondément inégalitaire n’est plus tenable. Il tue l’équilibre du territoire national, poussant les populations à ne plus croire en la République et à voter par dépit pour des options extrêmes, principalement situées à l’extrême droite populiste. Cette dérive n’est pas le fait du hasard ; elle est consubstantielle à la nature de l’Etat. Est-cela que nous voulons pour notre pays ?  Avec un budget alloué à la Région Bretagne avoisinant à peine aujourd’hui les 2 milliards d’Euros, on peut se dire que le compte n’y est pas, surtout quand on le compare à celui des autres régions européennes concurrentes. Comment à notre niveau régional pouvons-nous lutter économiquement alors que l’Etat est défaillant ?

Dernière question d’importance, le vieillissement de sa population est préoccupant. La France ne renouvelle plus naturellement sa population. Si le taux d’accroissement de la population française est longtemps resté positif, c’est-à-dire supérieur à 2,1enfants par femme jusqu’en 2017, depuis il s’effondre. Certes supérieur à la moyenne des pays européens, il a brusquement plongé ces dernières années pour attendre en 2024 seulement 1,6 enfant par femme. Si cette situation est caractéristique de tout pays développé, elle n’en est pas moins préoccupante, traduction de l’effondrement de notre système social, si protecteur par le passé, mais surtout signe du mal-être d’une société pour laquelle l’avenir n’offre nul horizon. Cette question pose en filigrane la question de l’immigration, objet actuel de crispation de l’opinion publique et fond de commerce des partis populistes.  Mais plus que l’intensité de ses flux, la réelle question qui compte est celle de l’intégration de ces nouveaux arrivants.

Si la Bretagne est la région la moins concernée de toutes les régions françaises par ces  populations en provenance de l’étranger, 138 600 individus en 2021 sur les 5,6 millions recensés en France métropolitaine, soit seulement 4,1% de sa population (France=10,2%), c’est la traduction de ses difficultés  économiques et de son éloignement des centres actifs. Et pourtant, cette émigration constitue une chance, offrant au passage les compétences qui nous manquent, l’ouverture d’esprit et les différences qui réanimeront notre société.  Mais la Bretagne, par contre, est confrontée à une autre immigration (35 à 40 000 personnes par an) interne à la France et l’Europe, parfois bien plus problématique en dépit des apparences. Plutôt âgées et aisées, ces populations qui fuient les métropoles devenues invivables, voient en ce moment notre région Bretagne comme un lieu fort agréable de villégiature et de retraite, ne se souciant en rien de leur intégration et des problèmes qu’elles nous imposent : spéculation foncière et immobilière, question du logement, mépris de notre culture qu’elles assimilent trop souvent à un folklore, gestion par la collectivité de leur fin de vie. Peu d’entre-elles cherchent réellement à s’insérer dans la vie de notre collectivité ce qui pourtant devrait être une attitude normale de respect à notre égard et d’intégration à la vie commune pour le plus grand bénéfice de tous.

 

La France actuelle est-elle en mesure de se réformer en tous ces domaines ? Vaste question. Il en va de son avenir en tant qu’Etat souverain. Après tout, l’histoire n’est qu’une suite de constructions et déconstructions politiques de la sorte. Le temps des Etats-Nations, modernité politique du XVIIème au XXème siècle est sans doute révolu. Mais la question qui nous importe, Peuple breton composante actuelle du Peuple français, est de savoir dans ce contexte mondial, européen et national, ce que sera notre sort, de quoi sera fait notre avenir ?  Et en cela la question de notre autonomie régionale se trouve clairement posée. 

Toutes ces considérations et réflexions sur le Monde, l’Europe et la France peuvent sembler à certains des lieux communs et en ce cas, je m’en excuse. A l’inverse, à d’autres, elles peuvent paraitre excessives, produit d’une démarche critique de dénigrement systématique. En ce cas, elles méritent quand même attention. Seule la lucidité est guide de la sagesse. Aussi douloureuse soit-elle, mon rôle de géographe est de les aborder. Car nous sommes entrés dans une phase de recomposition totale de la planète et de ses équilibres. Survivre en tant que Peuple et Nation particulière mérite attention et détermination.

 


[1]  FOURQUET Jérôme, L’archipel français. Où allons-nous ?, Le Seuil, 2019.

[2] LEBAHY Yves, chapitre « Villes monde » dans Où va la Bretagne ? éditions Skol Vreizh, 2018.

[3] LEBAHY Yves, voir les analyses critiques à la métropolisation dans :  Où va la Bretagne ?, Skol Vreizh 2018 et Défis pour la Bretagne. Un nécessaire « nouveau contrat social », Skol Vreizh 2020.

[4] HENRY Gwenael, Pdt de Bretagne Majeure,  étude en ligne sur le site Yes Brittany .

 
 
 

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