En quoi l’autonomie de la Bretagne est-elle si nécessaire ? (4/5)
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- 17 janv.
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Un seul avenir possible pour la Bretagne : une Bretagne autonome
Face à ce Monde en mutation, cette Union européenne problématique et cette France en décomposition, peu importe la sensibilité politique à laquelle nous appartenons, à moins d’être un partisan de cet ordre ultralibéral et dérégulé que je dénonce, il nous faut urgemment concevoir notre avenir et le positionnement institutionnel de la société bretonne. Vieux Peuple de plus de 1500 ans d’existence, c’est même un devoir qui nous incombe que de l’envisager pour ne pas sombrer avec ces cadres et contextes politiques devenus si aléatoires, pour finalement disparaitre alors comme tant d’autres peuples auparavant. Pour cela, la société bretonne a besoin de prendre en mains son destin.
Elle doit d’abord le faire en raison de la crise climatique qui assurément va bousculer ses équilibres environnementaux et, par voie de conséquence, sociaux. Or l’adaptation de notre société à cette crise majeure suppose une approche complexe et globale impliquant la participation de toute la population. Par expérience, les opérations de « gestion intégrée » montrent que ce type d’approche n’est concevable qu’à des échelles de terrain de proximité, locale et régionale, les seules aptes à permettre la saisie des enjeux et leurs interactions. Elles sont aussi les seules qui offrent la définition de politiques d’adaptation grâce à une démarche participative suscitant la confrontation des points de vue tout en facilitant une connaissance plurielle du terrain (usagers et spécialistes). Ainsi seulement peuvent s’opérer la nécessaire résolution des problèmes et la définition de stratégies d’adaptation. L’autonomie de décision doit donc se situer sur le terrain, à proximité des populations, de leurs besoins, ce qui suppose une refonte totale de notre système politique, le conduisant vers une plus grande vie participative : concertation, cad étymologiquement « construire avec », cogestion, donc responsabilisation.
Territoire moins menacé que d’autres selon les prévisions, la Bretagne aura toutefois à gérer les effets de la montée du niveau marin et celle de la raréfaction de sa ressource en eau. Vastes questions quand même qui supposent une forte solidarité interne à la région. Cependant, en dépit de ces problèmes majeurs, elle risque fort de devenir une terre d’accueil pour des populations qui fuiront les désordres en cours, pires ailleurs. Le mouvement est déjà amorcé : la région accueille, depuis deux décennies au moins, de nombreux migrants fuyant les aires métropolitaines nationales et européennes imposant des conditions de vie problématiques (retraités notamment mais aussi actifs grâce au télétravail), des agriculteurs à la recherche de terres afin de poursuivre leur activité (agriculteurs Hollandais par exemple), des résidents du sud de la France du sud fuyant déjà la canicule et le manque d’eau. Dans les bouleversements à venir, la Bretagne constituera assurément un refuge ; le processus est amorcé depuis la crise du Covid. Ces nouveaux arrivants risquent fort de déstabiliser notre société, ses langues et cultures, ses activités, si rien n’est fait pour affirmer notre identité d’un côté et les intégrer de l’autre à notre culture, nos langues, notre histoire, nos enjeux socio-économiques, de fait à notre spécificité. Le processus est en cours sur les littoraux et même si 79% des habitants de la Bretagne pensent que le Peuple breton existe[1], encore nous faut-il entretenir notre originalité en mieux les intégrant. Une des clés de perpétuation de notre société dans ce monde futur repose en effet sur le maintien de cette différence, différence qui intégrera assurément les apports de ces nouveaux arrivants et donc évoluera. La Bretagne ne doit pas en effet devenir un conservatoire ; la force de notre identité actuelle repose sur cette capacité qu’elle a eu dans le passé à intégrer les apports nouveaux, pour mieux rebondir. Là est notre voie, à l’expresse condition de la maitriser.
La crise climatique impactera donc de différentes manières, directes et indirectes, notre avenir. Nous devons l’anticiper en nous y adaptant. La capacité de décider chez nous, en Bretagne, semble en cela une question vitale.
Cela suppose que la Bretagne porte un projet sociétal qui lui soit propre, projet cohérent avec ses héritages, ses milieux de vie et leurs mutations prévisibles, projet de vie évitant les processus d’uniformisation portés par l’économie marchande sur toute la planète. De tels projets ont été formulés depuis longtemps, se rejoignent en tout domaine, justement dans une approche globale. Tant au niveau de notre Conseil régional par le travail de ses commissions que celui des associations, ils ont été clairement définis. Le manifeste du collectif « Bretagne Majeure », élaboré collectivement lors de la réunion du janvier 2019 à Carhaix en présence de 120 personnes représentantes des forces politiques et associatives bretonnes, en constitue un fil directeur, en étudiant les grandes lignes point par point. Remanié en mai 2022, ce document constitue une feuille de route définissant les orientations à prendre pour l’action avec comme impératifs, la réunification de la Bretagne, l’affirmation de nos langues et de notre culture, l’affirmation des services publics (notamment l’école et la santé), des politiques d’aménagement volontariste en matière d’économie maritime, d’agriculture et de pêche et par voie de conséquence d’industrialisation, de transport et infrastructures, d’autonomie énergétique. Les détails de ces mesures sont consultables sur le site du collectif et ici en pièce jointe[2].
Mais, clés de ce projet, l’autonomie politique et financière de la Bretagne est d’une nécessité absolue.
Des transferts de compétence et un budget propre à la hauteur des besoins sont les clés de cette autonomie si nécessaire. Sur le plan politique, la Région doit pouvoir mener des politiques qui sont les siennes pour répondre à ces enjeux particuliers qu’elle doit assumer directement en matière d’environnement, d’éducation de notre jeunesse et d’économie. Cela veut dire pouvoir légiférer grâce aux nécessaires transferts de compétences de l’Etat à la Région. Cela veut dire aussi pouvoir financer ces projets et cette politique. La dotation budgétaire que la Bretagne reçoit de l’Etat doit absolument évoluer et être mise au niveau des actions à entreprendre. Elle doit atteindre un niveau équivalent à celui dont bénéficient les autres régions et pays européens de taille identique sur le plan géographique et de poids similaire sur le plan démographique (30 à 40 milliards d’€/an). C’est la condition nécessaire pour mener à bien des politiques publiques régionales. Le temps des miettes distribuées à notre collectivité par un Etat central « monarchique », des prébendes et du « don gratuit », est révolu.
Une refonte du système politique qui gouverne notre territoire : une réelle démocratie de proximité, plus autonome et participative avec des échelons de pouvoirs revisités (Pays, Assemblée régionale). Et en cela, nos Pays , « territoires de vie cohérent et homogène sur les plans géographique, historique, culturel, économique et social…, espace de solidarités internes entre élus, socioprofessionnels et le monde associatif mais aussi entre l’espace rural et le milieu urbain… , espace de projet pour un développement local conçu sous une forme globale, horizontale, décloisonnée et interactive…, espace enfin de services publics organisés à partir des bassins de vie de la population locale » [3] constituent le fondement essentiel de cette démocratie refondée et participative. Loin d’être une idée ancienne, porteuse comme beaucoup l’imaginent de valeurs ruralistes et rétrogrades, ce concept de Pays est d’une extrême modernité et répond aux impératifs politiques des enjeux actuels et futurs. C’est celui d’une véritable Démocratie de proximité.
Quant au rôle d’une assemblée régionale refondée, souvent discuté[4], il est tout autant essentiel. La Région doit devenir le maitre d’œuvre de nos politiques de proximité, en harmonie avec les attentes de sa société. En Bretagne, cette question est essentielle pour l’affirmation de notre identité au sein de l’espace national. Mais elle l’est encore plus dans le concert des Nations constitutives de l’Union Européenne, n’en déplaise à la France qui estime que depuis le 04 Août 1789, date d’abolition des privilèges, nous avons fait allégeance à un projet et un destin commun en abandonnant le droit des Provinces à la République. Nous avons le droit et le devoir d’exprimer pourtant nos choix et notre pensée.
rr
[1] sondage IFOP/ Peuple Breton, 2024 .
[2] Manifeste Bretagne Majeure, janvier 2019/mai 2022, voir pièce jointe ou le site Yes Brittany.
[3] LEURQUIN Bernard, Préfet Hors cadre et Conseillé délégué de la DATAR, La France et la politique de Pays. Les nouveaux outils pour le Développement et l’Aménagement des Territoires, SYROS, Nov 1997.
[4] URVOAS Jean Jacques, « Assemblée unique : la piste du référendum », journal Ouest France, 18 juin 2019.
CUEFF Daniel, La Bretagne, un horizon démocratique pour notre République, Le Temps éditeur, 2014
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