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« L’émancipation commande d’abord de se libérer des mots » Par Yvon Ollivier

Yvon Ollivier
Yvon Ollivier

Le poète ne songe qu’à faire danser les mots. Même si on dit qu’il a toujours raison, il se pourrait qu’il ait tort. Et si c’était les mots qui nous faisaient danser ? Les mots nous enferment dans des représentations qui s’imposent à nous, avec toute la puissance politique et médiatique des Etats ou des personnalités influentes.


Et pour se soustraire à leur emprise, il faut avoir l’émancipation chevillée au corps.


Quelques exemples pour expliciter ce pouvoir étrange des mots. L’écriture d’un roman historique « Tolosa ou le glaive des hérétiques » m’a valu une plongée dans les méandres du XIIIème siècle et des ravages de l’inquisition dans ce qui ne s’appelait pas encore l’Occitanie. De la lecture des archives et des sentences d’excommunication, j’en ai déduit que la seule manière d’envoyer au bûcher l’hérétique consistait à lui retirer son humanité pour l’affubler du substantif « diable ». S’il est difficile d’envoyer son prochain au bûcher, avec « le diable », c’est beaucoup plus simple. Ce stratagème de la pensée totalitaire que permettent les mots, se retrouve dans toutes les tragédies postérieures au XIIIème siècle.


Les mots conduisent à la mort et légitiment tous les génocides. Ce ne sont pas des humains que les hutus trucident en masse mais des « cafards ». Les nazis exterminent les « sous-hommes » qui souillent le sang allemand. Les révolutionnaires de 93 conduisent à l’échafaud les « factions » et tous ceux qui se refusent à l’humanité nouvelle. C’est toujours la même histoire.


Pourquoi les « braves types » peuvent-ils parfois commettre le pire ? Les mots sont au cœur de tous les mécanismes criminels. Avant de torturer, le criminel cherchera toujours à humilier sa victime. Les viols commis durant la guerre d’Algérie par des soldats du contingent l’illustrent encore. Ce n’étaient pas des femmes qu’ils violaient, juste des « bougnoules ». La différence, c’est qu’elle permet le passage à l’acte.


Quel lien avec la Bretagne me direz-vous ?


Nous ployons sous le poids des mots choisis par d’autres depuis si longtemps. Des mots terribles en ce qu’ils n’ont d’autre objet que de dissoudre notre altérité bretonne, en la délégitimant. Parlons de « langue régionale ». Il faut aider les « langues régionales » dit on ! L’Etat s’abaisse à en parler, nos élus aussi. Mais je ne connais rien de plus stupide que de vouloir sauver une « langue régionale ». La « langue régionale » est par principe inférieure à la langue française. Alors pourquoi faudrait il la sauver ? S’il faut sauvegarder notre langue, l’enseigner à tous nos enfants, c’est juste parce qu’elle est la langue de notre peuple breton, son expression majeure ou son âme, rien que ça !


Le concept de « région », que l’on nous a accolé, n’a d’autre objet que de faire disparaître notre peuple sous un artifice sémantique et administratif. C’est encore la marque d’un stratagème pernicieux mais efficace lorsqu’il faut contrôler les périphéries lointaines, et à peu de frais.


Gaston Deferre, l’homme qui a forgé les lois de décentralisation de 1982, avait exercé ses talents en Afrique avec la loi cadre de 1956. A l’époque, il s’agissait déjà d’offrir un verni démocratique à la gestion des colonies en période de décolonisation, tout en maintenant le contrôle de la centralité pour poursuivre au mieux l’exploitation des territoires. Ce verni démocratique avait encore pour objet de renoncer à toute politique d’égalisation entre les colonies et la métropole.


La décentralisation à la française confère à la domination territoriale de la centralité un verni

démocratique, avec le concours d’élites locales inféodées aux formations politiques parisiennes.


Dépourvues de véritables moyens et compétences, ces « régions » s’abîment dans le clientélisme.


Le découpage « régional » choisi et maintenu contre vents et marées, permet de briser l’unité de la Bretagne, divisée en deux régions administratives, avec la légitimation offerte par les élites locales.


S’attaquer aux mots


Loig Chesnais-Girard, Président de la Région Bretagne, comme les députés socialistes avant lui, pratique le double discours. Un verbiage de façade pro-réunification en Bretagne, laisse la place à l’acceptation du découpage territorial au sein de l’association des « régions » de France.


Les mots et les représentations qu’ils véhiculent sont trop souvent nos ennemis. Alors que faire me direz-vous ?


Avant de retrouver le chemin de l’émancipation, dont nous avons hélas, largement perdu le sens, il faut s’attaquer aux mots. S’il nous faut les employer comme les termes « région » ou « langue régionale », enfermons-les entre guillemets protecteurs.


Les Guillemets offrent la distanciation nécessaire et signifient que nous ne sommes pas dupes de la charge dominatrice du mot ou concept ainsi mis en exergue. Les guillemets soulignent encore combien ce terme nous est extérieur et qu’il ne tient qu’à nous de le remettre en cause.


L’émancipation commande d’abord de se libérer des mots.


Yvon Ollivier

Auteur

 
 
 

2件のコメント


charlie
1月04日

«L’émancipation commande d’abord de se libérer des mots… »

La guerre des mots est déclarée !

Yvon Olivier a raison. Les mots sont importants et ont un sens. « La régionalisation, la décentralisation, l’autonomie modulable… sont un faux débat et un non-sens pour une simple raison : elles s’inscrivent dans une logique réformiste de l’Etat français et occulte le caractère du droit à la souveraineté du peuple breton. La Bretagne n’est pas un ensemble de départements, de sous-préfectures, de préfectures ou de communes, elle est la patrie des Bretons, le pays réel dans lequel est enracinée une histoire, une mémoire collective, une identité… et on ne peut la réduire à une région. Il faut refuser cette appellation et cet argument qui…

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d.jegou
2024年12月26日

Tout à fait d'accord. Il y a d'autres mots que nous devrions aussi refuser. Ainsi notre combat est souvent qualifié de "régionaliste", parfois même par des partis bretons eux-mêmes. Or nous ne luttons pas pour une simple "région" mais pour l'émancipation d'un peuple distinct...

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