Tribune libre, Conseil régional de Bretagne, Intervention d’Aurélie Martorell sur les langues de Bretagne
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- 12 déc. 2024
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« Sur l’adoption du programme, je vous annonce tout de go que nous voterons évidemment pour, tant les questions relatives à l’urgence de leur transmission et le développement de leur visibilité dans notre vie quotidienne sont fondamentales et incontournables, et la région œuvre à flux constant malgré un contexte dégradé, même si comme d’habitude, nous ne sommes pas toujours d’accord sur les modalités choisies et les moyens débloqués. Car malgré tous ses efforts, c’est à une récession continue que nous assistons, que le travail des collectivités locales a peut-être ralenti mais pas inversé.
Vous avez profité de ce bordereau pour nous interpeler (assez mollement je trouve) sur la responsabilité de votre partenaire national dans cette affaire.
Mais souvenez-vous, en février 2022, lorsque vous appeliez cette assemblée à ratifier la nouvelle mouture de la convention pour la transmission des langues de Bretagne, votre majorité s’était targuée d’« un document encore plus ambitieux que le premier (…). La Région s'y était engagée, (…) elle y est parvenue, avec ses partenaires signataires, l'État, le Rectorat, la Préfecture, et les universités, à des accords permettant des avancées notables au service et au bénéfice des langues régionales ». Votre majorité prévoyait d'atteindre les 30 000 scolaires bilingues en 2027, soit une augmentation de 50%.
Dissonance
Sur les bancs de l’opposition, même allégresse généralisée autour d’« un accord très largement positif, avec des objectifs clairs et des avancées notables, particulièrement sur la transmission, l'enseignement, la visibilité et l'usage des langues, dans l'espace public et au quotidien ». Seul le groupe HISSONS HAUT LA BRETAGNE faisait dissonance pour critiquer une convention non équipollente, avec
- des mesures concrètes, ciblées mais des moyens nécessairement limités de la Région d’une part
- des engagements brumeux, sans expression concrète, sans un seul chiffrage, sans gage, sans garantie, sans sanction pour l’Etat d’autre part.
« Les mains dans le cambouis pour la Région, les vœux pieux pour l’Etat » avions-nous dénoncé à l’époque.
« Un tiers… »
Nous avions osé incriminer l’Etat de ne pas vous accompagner honnêtement et sincèrement dans cette opération de survie. Nous avions affirmé que s’engager sur la promotion des langues bretonnes ne l’intéressait pas, parce qu’il n’y voyait pas d’intérêt, parce qu’il aime à n’entendre parler qu’une seule langue : le français. Nous avions opposé qu’en se contentant des promesses de l’Etat, nous courrions en conscience à une escroquerie programmée et devions nous préparer à l’expliquer aux bretons. Nous avions alors été chahutés et il nous avait été répondu que nous devrions nous estimer heureux de ce que l’Etat avait bien voulu concéder et j’entends encore l’adage populaire cité « un tiens vaut mieux que 2 tu l’auras ».
Mais le temps des comptes arrive Monsieur le Président.
Car voici que les chiffres parlent d’eux-mêmes : au lendemain de la seconde guerre mondiale, 1 millionde français parlaient couramment et quotidiennement le breton contre moins de 200 000 aujourd’hui, dont 79% ont plus de 60 ans et moins de 5% ont de 15 à 40 ans. Malgré le combat pour la reconquête de la langue bretonne depuis la fin des années 70’, le nombre de locuteurs ne cesse de chuter et la disparition progressive de la population vieillissante n’est pas compensée par une arrivée suffisante de jeunes locuteurs. Vous-même l’écrivez noir sur blanc en page 93 du budget primitif : « L’avenir de la langue bretonne ne sera assuré que si une fraction suffisante de la population la maitrise, et la formation d’un nombre suffisant de jeunes locuteurs est indispensable dans un contexte démographique de moins en moins favorable ». Le breton, plus on en parle, moins on le parle (cette expression n’est pas de moi).
Convention pas appliquée
Plusieurs associations, au premier rang desquelles DIV YEZH BREIH, ont dénoncé dès début 2023 que la convention n’était pas appliquée, que les moyens alloués par l’Etat n’étaient pas à la hauteur de ses promesses : fermetures de classes, diminution du nombre de postes d’enseignants sur l’ensemble de l’académie de Rennes. Avec 4000 élèves, le réseau Diwan n’ambitionne pour sa part de former que 100 locuteurs par an.
Fin mars 2023, tous les Conseillers Régionaux Bretons sauf le RN et les élus communistes de votre majorité, envoyaient une lettre à Matignon, pour rappeler l’Etat à ses engagements. Pour quel résultat?
En septembre 2024, les écoles DIWAN ont révélé leurs difficultés financières. A l’initiative de Messieurs MOULLEC et ROUDOT, qui avaient proposé que chaque commune verse 10 centimes par habitant, de nombreuses collectivités locales ont versé une subvention, mais cette mise sous intraveineuse ne pourra perdurer sans une réflexion profonde du modèle social. Où est l’Etat ?
C’est désespérant
Vous-même reconnaissez qu’« à ce jour, de nombreux articles de cette convention sont en attente de mise en œuvre »… deux ans et demi plus tard ! Pour une convention qui a nécessité 2 ans d’accouchement et aura seulement 5 ans de vie, c’est désespérant.
Aujourd’hui comme en 2022, nous pensons que la stratégie réelle mais non avouée de l’Etat est de continuer à nous jeter aux yeux sa poudre de perlimpimpin.
L’Etat n’a nulle intention de sauver le breton ou le gallo puisque seul le français compte. Monsieur Macron l’a d’ailleurs rappelé le 14 novembre dernier à l’Institut de France : « Notre Nation est constituée par l’Etat et par la langue. Elle a été la fabrique d’une Nation qui, sinon s’échappait entre ses langues vernaculaires, ses patois, ses différentes langues régionales qui, pour nombre d’entre elles, (…) étaient un instrument de division de la Nation ». Les paroles de Monsieur MACRON trahissent sa pensée et la pensée de Monsieur MACRON trahit la parole donnée.
Regarder un breton se noyer…
C’est comme regarder un breton en train de se noyer : la Région est sur la berge, hurle et fait du bruit pour qu’on s’y intéresse, appelle l’Etat à l’aide. Celui-ci tend une main au-dessus de la rivière mais jamais ne se penche pour le saisir. Quel besoin de s’opposer officiellement à la promotion des langues de Bretagne pour susciter d’irréductibles remous ? Mieux vaut être velléitaire et ne rien faire. La bataille des langues régionales s’éteindra d’elle-même tranquillement, faute de combattant.
En 2022, vous vous étiez engagé à continuer de négocier avec l’Etat pour amender cette convention de partenariat. Deux ans plus tard il n’en est rien, et il n’en sera rien, et cette convention vide des engagements de l’Etat ira jusqu’à son terme en 2027.
Les intentions cachées de l’Etat
En refusant d’admettre la réalité sur les intentions cachées de l’Etat, en acceptant de signer des accords non contraignants, la Région porte une part de responsabilité dans le déclin inexorable de nos langues régionales. Un élu breton comme ministre des langues et des héritages régionaux, je n’y crois pas. Pouvez-vous nous dire ce que vous envisagez de faire pour mettre l’Etat face à ses manquements et ses responsabilités ? »
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